Le théâtre wallon est-il condamné à disparaître ?

Malgré plus d'un siècle d'existence, le théâtre en wallon perdure en région namuroise. Reflet de la société contemporaine et riche de ses expressions savoureuses, il reste le meilleur support pour prolonger l'existence d'un dialecte dont la disparition semble programmée. Mais la nouvelle génération va-t-elle continuer de transmettre cette belle partie du folklore wallon ?

Dans les coulisses de la salle de spectacle du Cinex, à Namur, les enfants sont tout excités. Pour certains, c'est la première fois qu'ils donnent une représentation ailleurs que dans leur village. Mais l'ambiance est décontractée. "Si vous devez aller faire pipi, c'est le moment" prévient le professeur quelques minutes avant l'entrée en scène.

Sept troupes du grand namurois se succèderont sur scène cet après-midi dans le cadre du Festival Joseph Calozet. Les thèmes abordés sont contemporains: une famille recomposée qui se dispute, le tournage chaotique d'un film. Les mutations de la société, les crises, les modes et les inquiétudes sur l'avenir sont tournés en dérision. Le répertoire a évolué avec son public. Logique, puisque le théâtre en wallon a toujours eu l'ambition d'être le reflet des préoccupations, des travers et du langage de la population locale. "Le peuple wallon se reconnaît tout entier dans son théâtre, avec les incidents et les contacts de tous les jours, avec les peintures de sa propre vie et de celle qu'il voit couler autour de lui. Et cela se peint avec un naturel accompli, une ironie légère, une observation sincère des caractères, des allures et de la gesticulation de chaque personnage" écrivait déjà en 1921 Doutremont dans la revue "La vie wallonne". Ceci est confirmé par E. Lempereur dans "Aspects du théâtre wallon contemporain" : "le théâtre en wallon, pris dans sa globalité, est politique parce qu'il illustre et défend des valeurs fondamentales de l'identité wallonne".

Les Namurois se retrouvent effectivement dans ces pièces de moeurs et ces personnages bons vivants, qui cultivent la plaisanterie et le sens de la répartie. Aujourd'hui, dans la région, on compte encore une vingtaine de troupes. Les plus connues sont les compagnies Tine Briac et Aimé Courtois, qui se produisent au Théâtre Royal de Namur et à la Maison de la Culture. Mais la plupart sont issues des petits villages de la périphérie. Parmi elles, la compagnie Les D'jones T'chats de Vodecée se distingue par son théâtre d'avant-garde. Dans la pièce présentée au Festival de Ciney cette année, l'entreprise familiale de fabrication de moutarde est au bord de la faillite. La crise économique, mais sous le ton de l'humour. Le festival, étalé sur une semaine, fait salle comble chaque année. Preuve que le théâtre en wallon et son esprit convivial, optimiste et bon enfant, continue de trouver son public.

Pour Charles Massaux, organisateur du festival Joseph Calozet, la ténacité du théâtre wallon, presque exclusivement comique, s'explique par ses expressions trucculentes. On appelle cela les ratoûrnûres, des expressions typiques souvent intraduisibles en français.

Naissance et évolution du théâtre en wallon

Le théâtre en wallon est apparu timidement à Namur vers la fin du XVIIIème siècle. La petite histoire raconte qu'un comédien français, nommé Klairwal, fut tellement impressionné par une joute d'échasses organisée place Saint-Aubain à l'occasion d'une visite de l'Archiduc Maximilien d'Autriche, qu'il a décidé de composer une pièce à la gloire des échasseurs. Dans sa pièce, qui eu un énorme succès, il fesait apparaître des personnages qui s'exprimaient en "dialecte de Namur".

Il faudra attendre 1889 cependant pour que naissent les premières pièces entièrement en wallon namurois. Elles connaissent immédiatement un réel succès auprès du grand public, principalement issu des classes populaires. Le théâtre en wallon a immédiatement été considéré par la haute bourgeoisie comme un "théâtre de petites gens", vulgaire et absurde. Des intellectuels ont bien tenté d'apporter plus de densité et d'esthétique à ce théâtre, mais cela ne correspondait pas aux attentes du public. C'est après la première guerre mondiale que le théâtre wallon connaît son époque la plus glorieuse. La crise de 1929, avec l'apparition du cinéma et de la télévision, l'envie d'exotisme, la dislocation des communautés et la disparition des industries, qui soutenaient financièrement les cercles de théâtre, annonce le début d'une agonie lente mais tranquille.

Aujourd'hui, la moyenne d'âge du public varie entre 45 et 65 ans, le nombre de troupes s'est considérablement restreint. La perte du langage wallon est un frein presque irréversible à l'élargissement du public.

Mais les jeunes continuent de s'intéresser au théâtre en wallon. Ouvert à tous, drôle et enrichissant sur le plan créatif et éducatif, il possède de nombreux atouts pour leur plaire. Lucas et ses camarades de sixième primaire trouvent d'ailleurs ça tellement "cool" de jouer en wallon qu'ils y passent toutes leurs récréations de midi. Cet enthousiasme sera préservé tant que des professeurs continueront de transmettre avec passion ces traditions wallonnes et ce plaisir de la scène. Un plaisir communicatif. A la fin de la représentation, le public semble ravi. Une bière à la main et une part de tarte dans l'autre, il a savouré chaque mot de ce théâtre local, naïf, tendre et authentique. Témoin de notre histoire, il résiste tant bien que mal à la mondialisation, à l'embourgeoisement et contribue à prolonger l'existance de notre dialecte.

Céline Delacharlerie